France 1, USA 0,5

Publié le 25 janvier 2010 par chloenicolas

Chang Khong, frontière thaïlandaise, 18h

Encore une fois rattrapés par le temps, nous avons l’intention de lui faire un pied de nez en changeant de moyen de transport. On ne peut pas dire qu’il est plus rapide, loin de là, mais il est bien plus direct pour atteindre notre destination finale au Laos : le poste frontière de Houei Xay. Les routes au Laos étant franchement peu nombreuses (surtout dans les montagnes du Nord), il aurait fallu faire un bon détour pour atteindre la Thaïlande. C’est pourquoi on a choisi de remonter le Mékong en bateau.
C’est en mode glandouille-croisière que nous embarquons à 6h30 du matin. Comme les vélos n’ont jamais pris de bateau, ils sont tout de même “légèrement” tendus quand Nico les attachent sur le toit, surtout qu’on les a un peu agressé pour qu’ils accélèrent. Nous n’avions en fait pas repéré l’embarcadère la veille, car on nous avait certifié que c’était très facile à trouver. Mais comme on n'a pas pris la bonne direction dès le début, un vent de panique (de face en plus) soufflait sur le Mékong.
Enfin, nous voila assis à table quand deux vieux s’installent à leur tour en face de nous. Nous nous sourions et l’homme me demande :
-“Where do you comme from?
-From France.”
-ah…” me fait-il, l’air désolé. Et il regarde ailleurs. Touchée au plus profond de mon âme et curieuse de savoir d’où lui vient ce mépris soudain, je n’abandonne pas la partie et lui demande à mon tour où il habite. “- States!”, en appuyant bien le “s”, et il s’en va. Sa femme-caniche (à cause de sa coiffure et de son air agressif) me montre à son tour les dents. Ok. Le message derrière cet échange de 4,43 secondes, était très clair : ils auraient bien aimer se faire des connaissances sur ce bateau, afin que la traversée leur soit agréable malgré sa lenteur, mais malheureusement, mauvaise pioche, nous étions français! Et comme c’est bien connu, les américains ne parlent pas aux français! On vaut pas le coup en fait! Ça servirait à rien. Bah oui, on leur aurait parlé de notre modèle social capitaliste et nous auraient répondu à coup d’ultralibéralisme. Ça n’aurait pas pu coller…
Bref, on profite qu’ils aient le dos tourné pour s’éclipser à l’arrière du bateau. On fait bien d’ailleurs, parce qu’on est installés seuls sur des banquettes autour d’une table basse. Deux trentenaires arrivent dans le petit salon pour s’y installer et la conversation s’engage. En Français (ouf!). Guillaume et Katia sont deux Français expatriés à Hong Kong depuis 3 ans et, en ce moment en année sabbatique pour voguer sur les eaux asiatiques avec leur voilier. Contrairement aux américains, le courant passe tout de suite, et nous voila partis dans nos récits de voyages et bonnes doses de rigolade jusqu’au couché du soleil.

     Le temps passe vite avec eux et arrivons déjà à notre village hôte pour la nuit. Les lodges dans lesquelles nous passons la nuit nous rappellent le voyage au Vietnam, avec mes parents : elles sont tout aussi charmantes et luxueuses. En bons Français, nous passons uns soirée arrosée au vin rouge, qui nous fait oublier les bruits harassants du moteur du bateau et des violonistes laotiens!
     Nous repartons de bonne heure le lendemain matin et comptons nous réinstaller sur les banquettes à l’arrière. Mais c’est sans compter sur notre “moyennement sympathique” couple probablement texan qui se tenaient prêts depuis une demi-heure, afin d’arriver les premiers, pour squatter l’arrière du bateau, qui à leur yeux, est un lieu privilégié, car plus confortable. Ce qui est vrai, il faut l’admettre…On peut s’y étaler à son aise, contrairement aux sièges du reste du bateau. Mais quand il y a de la place pour 4, il y a de la place pour 6! On y va quand même.
     Notre américain nous attend de pied ferme, cherchant à combler le moindre espace vide avec ses bras : il est vautré et nous attend pour le combat final!. Je ne la vois pas, mais je suppose que sa femme doit toujours montrer des dents.
     Avant toute description du combat qui s‘annonce, il faut savoir que Guillaume est un grand fumeur, et c’est pourquoi il est venu s’installer la veille à l’arrière du bateau. Pour ne pas gêner les autres passagers. Et là, quand nous nous engageons dans le salon, il a une clope à la main. Ce simple état est tout de suite perçu comme une agression :
- “Vous n’allez tout de même pas fumer ici!”, commence en anglais le mari du caniche.
-” Bah si, on venait s’installer avec vous“, lui répond Guillaume.
-”Non, vous avez profité des banquettes hier, c’est a notre tour maintenant! Nous aussi, nous aimerions bien dormir!!
-”C’est vrai mais le problème c’est que je ne veut pas empester les autres avec la cigarette alors on veut bien vous laisser la place, mais je reviendrai fumer ici”, lui explique faussement tranquillement Guillaume.
     Il n’aurait pas plus dire pire insanité. Des yeux d’épouvantes animent Milou, qui est au bord de l’apoplexie! Le texan en garde la bouche béante. L’argument était irréprochable, les américains s’avouèrent passablement vaincu. La femme reprend ses esprits et impulse à son mari un mouvement de départ, soigneusement accompagné d’un coup de coude pour qu’il retrouve ses esprits. Il est furax, mais la France gagne, les américains (qui ont engagé les hostilités) prennent leurs bagages et s’en vont en grognant. Il m’a semblé aperc

evoir une canine au passage.
     Nous reprenons place un peu gênés, nous voulions partager le salon, pas virer les septuagénaires.
     Comme nous le redoutions tous dans notre fort intérieur, l’américain ne s’avoue pas vaincu comme ça. Il a certes perdu, mais il faut qu’il parte avec les honneurs. Alors il a fait l’effort de revenir discuter ( preuve d’une forme d’intelligence jusque là ignorée). Le ton est plus calme et la question préparée depuis une heure et maintes et maintes fois retournée dans sa tête sort enfin. Le texan, sûr de son argument demande à Guillaume:
“Vous habitez Paris?
-“Non, Hong Kong.” Ça commençait déjà mal pour lui… mais bon, il a su se reprendre:
-”Peu importe… Vous avez dû prendre l’avion pour venir ici. Comment faites-vous dans l’avion? Vous ne fumez pas? Vous pouvez tenir une dizaine d’heure, n’est-ce pas.
-J’y arrive, parce que je n’ai pas le choix, mais ça m’est très difficile. Ici, c’est ouvert sur l’extérieur, je ne me prive pas.”
L’américain s’en tient là, mais en bon puritaniste, il ne peut pas s’en aller sans rappeler le droit chemin à une brebis égarée et de surcroît intoxiquée. Ça lui allège la conscience, et qui sait, s’il peut convaincre Guillaume d’arrêter de fumer, il serait un héros! Alors il nous a avoué qu’il avait fumé 3 paquets et demi par jour (!) avant de choisir la vie plutôt que la mort il y a 37 ans : il a arrêté. Ses mots sont choisis et nous sommes presque fiers de lui, prêts à lui taper sur l’épaule pour le féliciter.
    C’est que malgré leur petit coté donneur de leçon, les américains sont touchants, ils essayent de nous sauver, nous, les autres, du diable qui cherche à nous entraîner dans les mailles de son filet ( tiens? Je ne savais pas que le diable était pécheur…). La seule chose qu’il leur est difficile de comprendre, c’est qu’il existe d’autres chemins que le leur. Pour une bonne partie d’entre eux (je dis ça parce qu’il ne sont heureusement pas tous comme ça, loin de là!) le bien est dicté par les américains et le mal par “l’axe du mal”. Et la cigarette, c’est mal.
     Ce que je n’ai pas réussi à savoir, c’est si, pour lui, les français font partie de “l’axe du mal”…
     Guillaume finit par lui payer un coup à boire et les relations franco-américaines s’améliorent nettement. Je vois encore les dents de Milou, mais cette fois, elle sourit…

PS: comme je me suis un peu emballée sur le sujet, si je vous raconte notre rencontre avec les canadiens, oups! Québécois, pardon! ça risque d’être un peu long, alors se sera pour la prochaine fois. Mais, en tout cas, rien que pour l’accent, “Taberrrnacle!”, on irait bien faire un petit tour du coté de Québec dans un prochain voyage!